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Voici comment nous contribuons à une société sensible aux traumatismes

Beaucoup d’enfants que nous accompagnons ont vécu des traumatismes complexes pendant leur enfance : une réalité qui est malheureusement aussi celle de la plupart des services d’hébergement de l’aide à la jeunesse. Depuis 2020, nous nous mobilisons sans relâche avec nos partenaires pour leur offrir une plus grande prise en compte des expériences difficiles qu’ils ont vécues.

traumasensitieve samenleving société sensible aux traumatismes 2

© Alejandra Kaiser

Qu’est-ce qu’un traumatisme, au juste ?

« Un traumatisme est un événement qui vient faire violence sur l'état psychique d'un individu », résume Lyne Ral, psychologue dans notre Village d’Enfants SOS Chantevent près de Marche-en-Famenne. « C'est un moment où l’on se sent en danger et où l’on n'a pas de moyen de s'échapper. Un traumatisme laisse donc des traces, car l’événement est tellement violent que l’on doit trouver des stratégies de défense et des manières de l'éviter. »

« Les violences intrafamiliales, les abus sexuels, la maltraitance, la négligence… qui ont lieu dans l’enfance, au sein de la famille, sont en général des traumatismes dits complexes car ils sont chroniques, répétés. Ces traumatismes ont d’autant plus d’impact lorsque les faits émanent de personnes dont l’enfant dépend et qui sont censées le protéger : ses figures d’attachement, bien souvent. »

« Les jeunes ne peuvent trouver de la sécurité psychologique que dans une relation. »

Hilde Weekers, responsable pédagogique de nos maisons Hejmo et Hejmo Plus

Des expériences qu'aucun jeune ne devrait avoir à traverser

Bon nombre d’enfants et de jeunes accueillis dans l’aide à la jeunesse ont fait face à de telles expériences. Parmi eux, certains sont exposés à des défis particuliers : les enfants qui ont fui leur pays seuls. Confrontés à des conditions particulièrement difficiles dans leur pays d’origine (guerres, catastrophes naturelles, crises, perte de leurs proches ou de leur maison…), ils doivent laisser subitement tout ce qu'ils connaissent derrière eux pour entamer un long et dangereux voyage à la recherche d’un peu de sécurité.

Hilde Weekers, responsable pédagogique de nos maisons Hejmo et Hejmo Plus où nous accueillons 24 jeunes arrivés seuls en Belgique, nous explique les épreuves qu’ils rencontrent en chemin : « Nous savons que les enfants qui voyagent seuls sont très exposés à différentes formes d'abus et que leur vulnérabilité est accrue. » Ils rencontrent des personnes auxquelles ils ne peuvent pas faire confiance et affrontent toutes sortes de situations difficiles lorsqu’ils franchissent les frontières. Et les expériences traumatisantes ne s'arrêtent pas une fois arrivés dans le pays d’accueil : « Ils se retrouvent dans un environnement pas toujours chaleureux et adapté à leurs besoins. Ils doivent souvent vivre dans de grands centres, parfois avec des adultes, ce qui signifie que leur vulnérabilité persiste. »

© Alejandra Kaiser


Se sentir à nouveau en sécurité grâce à des liens de confiance

Toutes ces expériences éprouvantes ne sont pas sans conséquence pour les enfants et les jeunes qui les vivent. Les traumatismes complexes peuvent impacter leur corps et leur cerveau et influencer durablement leur développement, leur santé et leurs relations1.

« Le traumatisme peut générer une hypervigilance, illustre Lyne Ral. L’enfant va être très attentif à ce qui se passe autour de lui. Il essaie d’anticiper les réactions de ses proches pour éviter de subir à nouveau ce qu'il a pu vivre dans ses relations. Cela peut créer des difficultés dans ses liens aux autres, une peur de l'abandon ou du rejet… » Hilde Weekers observe aussi que les jeunes de Hejmo éprouvent des difficultés à nouer des liens d’attachement : « Ces jeunes n'ont pas eu d'adulte pour les protéger et s'occuper d'eux dans une phase très importante de leur vie, ce qui leur a appris à se méfier de tous les adultes. »

Notre expérience nous a convaincus que nouer des liens solides avec les enfants ne peut se faire que si les adultes et les organisations prenant soin d’eux ont conscience de leurs expériences traumatiques.

Il est dès lors essentiel que nous nous investissions pour construire un lien et un cadre pour ces enfants, tout en respectant leur rythme. « Ce n'est pas parce qu'ils arrivent dans un environnement sûr qu'ils se sentent immédiatement en sécurité, souligne Hilde Weekers. Pour les jeunes, la sécurité est principalement liée à la sécurité psychologique, et ils ne peuvent la trouver que dans une relation. » Nous devons donc leur montrer que le lien ne se brisera pas et que nous continuerons d’être là, quoi qu’il se passe. « Ce cadre et cette sécurité affective stables permettront à l'enfant de se sécuriser », complète Lyne Ral.


Adopter une approche sensible aux traumatismes est la clé

Notre expérience acquise dans nos projets nous a convaincus que nouer des liens solides avec les enfants ne peut se faire que si les adultes et les organisations prenant soin d’eux ont conscience de leurs expériences traumatiques et de la façon dont elles les impactent au quotidien.

C’est pourquoi, en Wallonie, nous accompagnons d’autres organisations de l’aide à la jeunesse pour adopter une approche sensible aux traumatismes : « C’est une manière différente de regarder les jeunes, résume Hilde Weekers. On ne se demande pas ″Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Pourquoi fais-tu cela ?″ mais plutôt ″Qu'as-tu vécu qui m'aide à comprendre pourquoi tu fais cela ?″ Il s'agit d'essayer de comprendre l'histoire des jeunes et leurs expériences au-delà des comportements que nous observons. »

Nous avons pris part en 2022 à un projet européen, réalisé avec cinq autres associations nationales de SOS Villages d’Enfants, qui a formé 600 professionnels de six pays d’Europe aux pratiques de prise en charge sensibles aux traumatismes. Quelques mois plus tard, nous avons organisé une journée de sensibilisation à Namur à laquelle ont participé 400 travailleurs de l’aide à la jeunesse.

Nous avons aussi organisé une « formation de formateurs » sur les pratiques sensibles aux traumatismes auprès de professionnels de l’aide à la jeunesse pour qu’ils puissent transmettre leurs savoirs à leurs collègues. Six organisations accompagnant plus de 1 100 enfants ont déjà participé à la formation en 2023 et quatre autres suivent notre nouvelle session depuis septembre.

Quatre collègues de notre Village d’Enfants SOS Chantevent et du projet d’accompagnement familial Le Séquoia en Wallonie ont également suivi cette formation et enseigné leurs connaissances à toute leur équipe : éducateurs, travailleurs sociaux, personnel d’entretien ou administratif… Les équipes de nos projets en Flandre ont elles aussi commencé leur processus de formation cette année. Notre objectif est que tous les collaborateurs de nos projets belges soient formés à repérer, comprendre et réagir aux traumatismes complexes.

Nous espérons ainsi qu’un nombre toujours plus grand d’enfants et de jeunes trouveront l’écoute, la compréhension et le soutien nécessaires pour avancer avec force malgré leurs expériences difficiles.

Nous avons sensibilisé 400 professionnels de l’aide à la jeunesse aux pratiques sensibles aux traumatismes. © Griet Dekoninck

« Plus nous aborderons les traumatismes dans l'espace public, plus les personnes concernées oseront prendre la parole. »

Hilde Boeykens, directrice de SOS Villages d’Enfants Belgique

Notre rêve : créer un large mouvement sociétal grâce à notre Bijou de Ville

Sensibiliser les professionnels et les organisations de l’aide à la jeunesse est déjà un immense pas en avant. Mais ce ne sera pas suffisant : il faut aussi sensibiliser l'opinion publique si nous voulons que les personnes ayant vécu des traumatismes complexes se sentent moins seules.

« C’est dans cet esprit que nous avons publié le 10 octobre 2021, lors de la Journée mondiale de la santé mentale, une carte blanche dans les médias cosignée par une vingtaine d’experts et d’organisations, rappelle Hilde Boeykens, directrice de SOS Villages d’Enfants Belgique. Nous avons appelé les ministres compétents à contribuer à la création d’un lieu officiel de reconnaissance pour ces personnes. Cette reconnaissance par la société peut être d’un grand soutien dans leur cheminement vers le rétablissement. »

Trois ans plus tard, nous y sommes : nous inaugurerons le 10 octobre notre Bijou de Ville. Conçue avec l’artiste Laura Nsengiyumva, des thérapeutes et des personnes qui ont vécu des traumatismes complexes, cette œuvre d’art sera installée par la suite dans le square Marguerite Duras à Bruxelles et fera office de lieu de reconnaissance. Chaque participant a créé une grande perle pour représenter de façon artistique son ressenti par rapport à ce qu’il a vécu. Les centaines de perles créées seront assemblées pour donner naissance à un énorme bijou.

« En partageant ces perles et toutes les histoires marquantes qu’elles symbolisent, nous avons la volonté de faire des traumatismes complexes un sujet de discussion et de créer un profond mouvement de soutien social, ambitionne Hilde Boeykens. De cette façon, nous espérons aussi travailler de manière préventive car, plus nous aborderons ce sujet dans l'espace public, plus les tabous pourront être brisés et plus les personnes concernées oseront prendre la parole. »

© Katerina Ilievska


Comment nous prenons en compte les traumatismes dans le monde

Il n’existe malheureusement aucune région où les enfants sont totalement à l’abri des traumatismes. Comme en Belgique, les enfants des projets que nous soutenons au Sénégal et au Burundi peuvent être touchés par la négligence, la violence, la pauvreté ou la séparation familiale, qui les exposent davantage aux traumatismes.

Pour faire face à ces défis, plusieurs membres de SOS Villages d’Enfants au Burundi se forment à différentes techniques thérapeutiques afin de contribuer au bien- être des enfants et des adultes. Dans notre programme de renforcement de la famille, nos collègues pratiquent par exemple l'écoute empathique lors de rencontres individuelles et de groupes de parole où chacun peut partager ses expériences et ses émotions.

Dans le projet dédié aux enfants talibés (qui grandissent dans des écoles religieuses aux conditions de vie souvent précaires) au Sénégal, nos collègues organisent également des séances d'écoute ou d'animation avec les enfants. Des groupes de femmes de la communauté, appelées marraines, s’organisent aussi pour conseiller et accompagner les enfants. « Il est difficile de donner des chiffres en matière de santé mentale », souligne Oury Diallo, coordinateur national des programmes de renforcement de la famille pour SOS Villages d’Enfants Sénégal. « Mais nous pouvons néanmoins observer une réduction des symptômes liés à des troubles spécifiques comme l’anxiété, la dépression et les troubles du comportement. »


1. Source : Felitti, V. J., Anda, R. F., Nordenberg, D., Williamson, D. F., Spitz, A. M., Edwards, V., Koss, M. P., & Marks, J. S. (1998). Relationship of childhood abuse and household dysfunction to many of the leading causes of death in adults. The Adverse Childhood Experiences (ACE) Study. American journal of preventive medicine, 14(4), 245–258. https://doi.org/10.1016/s0749-3797(98)00017-8 

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