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07/10/2021 - Les professionnels de l’enfance en danger et spécialistes du trauma appellent à la création d’un lieu dédié à la reconnaissance des souffrances des enfants ayant vécu des expériences traumatiques répétées.
© Katerina Ilievska
Carte blanche de SOS Villages d’Enfants à l’attention de la Ministre de l'Enfance Bénédicte Linard et de la Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Promotion sociale Valérie Glatigny à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale le 10 octobre.
Il existe tout autour de nous un pouvoir méconnu. Un pouvoir qui peut être le premier pas vers la guérison pour des milliers d’enfants et d’adultes. Cette lettre est un appel à la société dans son ensemble, à la Ministre de l'Enfance Bénédicte Linard et à la Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Promotion sociale Valérie Glatigny en particulier, pour encourager à faire usage de ce pouvoir.
Il s’agit du pouvoir de la reconnaissance.
En 2020, les 14 équipes SOS Enfants ont reçu 6 257 signalements de maltraitance. Et c’est loin d’être une année exceptionnelle. Chaque jour, des enfants font l’expérience de la douleur causée par la maltraitance, les abus et la négligence à long terme, souvent derrière des portes closes.
Survivant d’expériences traumatiquesLe simple fait de reconnaître que « ce qui t'est arrivé n'est pas correct », pour prendre conscience que « ce que j’ai vécu est injuste » est d’une grande importance.
Lorsque les enfants sont exposés à des expériences traumatiques répétées, celles-ci impactent leur corps et leur cerveau. Cela influence quasiment tous les aspects de la vie des enfants et des jeunes concernés. Cela rend les relations sociales plus difficiles, diminue l'estime de soi et la confiance en soi, génère des difficultés d'apprentissage, freine le développement et menace la santé physique[1]. L’impact de traumatismes répétés durant le jeune âge peut affecter le comportement, les relations et la santé physique et mentale du futur adulte[2]. Les survivants peuvent encore souffrir d'anxiété, de cauchemars et d'autres troubles psychologiques des dizaines d’années après les faits. Le stress toxique chronique causé par un traumatisme augmente aussi le risque de maladies auto-immunes, de maladies cardiovasculaires et de cancers (avec une corrélation encore plus élevée que celle entre le tabagisme et le cancer du poumon). En d'autres termes : un traumatisme non reconnu et non traité peut avoir des conséquences sévères sur la santé physique.
Les personnes et la communauté qui entourent les survivants ont un rôle important à jouer dans le processus de guérison qui suit de pareilles expériences. Comme l’explique l’experte en traumatismes Judith Lewis[3]: « La solidarité d’un groupe (de personnes victimes de traumatismes) est le meilleur antidote à une expérience traumatique. Le traumatisme mène à l’isolement. Le groupe recrée un sentiment d'appartenance. Le traumatisme génère de la honte et stigmatise. Le groupe écoute et rend valide. Le traumatisme rabaisse la victime. Le groupe la met sur un piédestal. Le traumatisme déshumanise la victime. Le groupe lui rend son humanité. »
Survivant d’expériences traumatiquesOn m'a toujours appris à ne pas en parler. J’étais censé me tourner vers l'avenir et ne pas trop m’appesantir sur le passé.
C’est exactement pour ces raisons qu’un lieu de reconnaissance officiel et public dédié à toutes les personnes qui ont vécu des expériences traumatisantes répétées durant leur enfance représenterait une importante plus-value sociale. La reconnaissance peut voir le jour dans différents cercles concentriques de la vie des enfants : à l’intérieur du cercle des personnes proches qui partagent leur quotidien et sur qui ils peuvent compter, à l’intérieur du cercle plus élargi de leurs amis, de leur famille et de leurs connaissances, et à l’intérieur du grand cercle que constitue la communauté dont ils font partie.
Un lieu de reconnaissance dans ce cercle extérieur peut offrir une reconnaissance directe mais aussi faciliter indirectement la reconnaissance dans les autres cercles. Le silence et le tabou entourent encore les agressions à l’égard de l’enfant. Cette reconnaissance officielle des souffrances de l’enfant représente symboliquement le tiers nécessaire garantissant l’écoute, le soutien et la reconnaissance de sa parole. Il est ainsi reconnu que ces histoires sont injustes, douloureuses et se sont réellement passées. Ces expériences deviennent ainsi quelque chose que, en tant que citoyens, nous pouvons porter ensemble.
Cette lettre est un appel chaleureux aux ministres compétentes afin qu’elles contribuent à créer un lieu officiel, aussi reconnu par les autorités et la société, où les survivants peuvent se rendre et où leurs expériences trouvent un endroit qui leur est dédié, où ils peuvent découvrir les expériences d'autres survivants, où ils peuvent trouver de l’inspiration ou une aide concrète pour aller de l’avant malgré leur traumatisme. Un monument physique, comme il en existe pour les attentats du 22 mars ou du 11 septembre. Nous aimerions inaugurer ce lieu ensemble le 10 octobre de l’année prochaine.
Vous souhaitez être moteur de cette initiative ? Contactez hilde.boeykens@sos-villages-enfants.be
Hilde Boeykens, directrice générale de SOS Villages d’EnfantsUn lieu de reconnaissance est une manière d’exprimer une souffrance commune. Cela signifie que nous avons le courage d'écouter tous ces appels au secours non entendus, toutes ces histoires douloureuses. Cela signifie que nous reconnaissons que ce que ces personnes ont vécu est une injustice. Cette reconnaissance est essentielle pour toute personne qui a été victime d'abus, de négligence ou de maltraitance.
Manoëlle Hopchet, présidente de l’asbl BIP (Institut belge de psychotraumatologie)
Centre PEPS-E, Psychothérapie Et Pratiques Spécialisées- Emotions
Le service Kaleidos (Projet Éducatif Particulier de l'Aide à la Jeunesse)
Dr. Eva Kestens, psychiatre pour enfants et adolescents au Centre d'observation et de traitement (OBC) ter Wende-Espero et formatrice à la Child Trauma Academy
Romina Cuadros Perez, psychologue, superviseure d’équipe au Centre d'observation et de traitement (OBC) ter Wende-Espero et formatrice à la Child Trauma Academy
Mattias Bouckaert, directeur du Centre d'observation et de traitement (OBC) ter Wende-Espero
Tim Stroobants, directeur Vlaams Expertisecentrum Kindermishandeling
Les cinq services flamands de pleegzorg
Kristien Schoenmaeckers, infirmière sociale, ayant vécu une expérience traumatique, co-formatrice en pratiques de prise en charge sensibles aux traumatismes
Melanie Dagnely, ayant vécu une expérience traumatique, intervenante en pratiques de prise en charge sensibles aux traumatismes
L’asbl Cachet, organisation par et pour les jeunes de l’aide à la jeunesse
Dr. Sofie Crommen, psychiatre pour enfants et adolescents, Présidente de la VVK
Dr. Stijn Umans, psychiatre pour enfants et adolescents, MFC Covida location Siemkensheuvel, et CIP Zonhoven
Dr. Cindy Creemers, psychiatre pour enfants et adolescents, MFC Covida location Siekemshevel
Dr. Jan Umans, psychiatre pour enfants et adolescents, MPC ter Bank, Groepspraktijk De Parelvissers
Ludwig Cornil, EMDR-Europe trainer, psychotraumatologue NtVP et directeur Traumacentrum Zottegem.
Kim Lerouge, Psychotraumathérapie, EMDR trainer K&J i.o.
Jeugdhulp Don Bosco Antwerpen (Luc De Win, directeur, Pieter Mertens, directeur adjoint et Mathias Henkens, coordinateur)
L'équipe de SOS Villages d'Enfants (Katrien Goossens, Justine Gwiscz, Sarah Bovy, Hilde Weeckers, Hilde Boeykens)
[1] Professeur TARQUINIO in Colloque Quantum Way, avril 2021. Les souffrances de l’enfance expliquent les maladies des adultes
[2] FELITTI Vincent (1998). Relations entre les expériences répétées d’adversité durant l’enfance et la santé mentale de l’adulte.
[3] Herman, J. L. (2001). Trauma and Recovery : From Domestic Abuse to Political Terror
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