Travail politique
Rares sont les familles d’accueil ou institutions qui peuvent héberger à la fois trois enfants – ou plus – d’âges différents. Ce qui explique que, dans le cadre de l’aide à la jeunesse, frères et sœurs sont souvent séparés. Stéphanie Haxhe, psychologue et experte en la matière, nous explique toute l’importance de ne pas séparer des fratries qui ont connu un passé familial difficile.
Mercredi après-midi. Tandis que ses quatre cadets jouent à la balançoire, Denis (nom d'emprunt) se prépare à aller faire un bowling, à l’occasion d’une fête d’anniversaire. Sa petite sœur demande à Anne, la responsable de maison, si elle pourra faire une sieste tout à l’heure. « Vincent était déjà en train de sauter sur mon lit à six heures, ce matin ! »
Denis et ses quatre frères et sœurs n’habitent plus chez leurs parents. Le tribunal de la jeunesse, ayant constaté qu’ils ne pouvaient y grandir en bonne santé et en sécurité, a ordonné leur placement dans un dispositif d’accueil de l’aide à la jeunesse. Grâce à la priorité accordée par SOS Villages d'Enfants à l’accueil des fratries, les enfants vivent aujourd’hui tous les cinq ensemble dans la même maison Le Saule, une des sept maisons familiales du Village d’Enfants SOS Chantevent (Marche-en-Famenne).
Stéphanie Haxhe, psychologue spécialisée en thérapie familiale avec les fratries, en souligne pour nous cette particularité essentielle.
« Que Denis et ses frères et sœurs puissent continuer à partager ainsi leur quotidien est tout sauf évident. Car il est rare que cinq frères et sœurs – une fratrie – soient accueillis ensemble dans un même établissement de l’aide à la jeunesse. Bien que la loi stipule que les fratries doivent être accueillies ensemble, dans la pratique, c’est loin d’être toujours le cas.
Cela s’explique avant tout par le manque de places dans les structures. Dès qu’une place se libère quelque part, elle est immédiatement requise. Dès lors, on place souvent les enfants un par un. Chez SOS Villages d’Enfants, c’est différent. Ici, nous attendons que l’on ait besoin d’accueillir ensemble plusieurs enfants d’une même famille. De manière à ne pas devoir scinder la fratrie. 34 de 'nos' 39 enfants ont au moins un frère ou une sœur ici. »
« Le lien entre frères et sœurs est aujourd’hui encore un sujet peu étudié. Tout le monde sait que la relation avec les parents est cruciale pour le bon développement de l’enfant. Mais on parle beaucoup moins du rôle des frères et sœurs.
A tort, selon moi. L’interaction entre frères et sœurs est une sorte de 'labo d’expérimentation’ pour les enfants, où ils peuvent tester leurs limites. Se disputer mais pouvoir rejouer ensemble un quart d’heure plus tard. Le mélange unique entre solidarité, rivalité et amour qui existe entre eux leur permet de poser des actes qui ne seraient pas admissibles dans d’autres relations.
C’est la raison pour laquelle cette relation est si importante. Pour les enfants en difficulté, le lien de fratrie est encore plus important. Il y a trois raisons principales à cela :
Stéphanie Haxhe, experte en thérapie familiale avec les fratriesLes enfants ont aujourd’hui compris qu’ils n’étaient pour rien dans leur placement. C’est tellement important !
Nous en voyons aujourd’hui un très bel exemple à Chantevent. Laetitia est encore ici au village, son frère ainé Dylan est sur le point d’aller vivre seul et sa sœur Laura bénéficie d’un studio à L’Olivier, une maison pour les jeunes située à Hollogne.
Je les réunis tous les quinze jours, pour qu’ils restent en contact. Et j’essaie de maintenir les liens entre leurs différentes situations de vie. Dylan, par exemple, est aidé par ses sœurs dans sa recherche d’appartement. Et Laetitia a promis à son frère de venir peindre le logement qu’il aura trouvé. Je suis sûre que Dylan aidera aussi ses sœurs lorsqu’elles devront vivre de manière autonome à dix-huit ans. »
SOS Villages d'Enfants veille non seulement à ce que les frères et soeurs grandissent dans une même famille, mais elle travaille également proactivement sur leur relation. Stéphanie, psychologue : « La relation entre frères et sœurs est un monde en soi. Quand on les voit ensemble, on peut considérer leur comportement et leurs émotions comme un ensemble et on dispose de toutes les pièces du puzzle. S’ils ne sont pas ensemble, il nous manque l’image globale. Denis, par exemple, s’énerve parfois. Sa colère est en général liée à certaines émotions du passé, des souvenirs ou des évènements récents (la maman qui n’est pas venue à une visite, par exemple). Grâce à la présence de ses frères et sœurs qui ont vécu la même histoire, on peut placer sa colère dans un contexte. Notre tableau l'illustre très bien.
Stéphanie HaxheGrâce à ses frères et sœurs, nous connaissons aussi le caractère attentionné de Denis. Et lui aussi le découvre.
« J’accompagne aussi les enfants de la maison Le Saule dans leur relation avec leur mère. Une fois par mois, nous organisons une rencontre au village d’enfants. Au cours de ces rencontres, les enfants apprennent la raison de leur placement. La maman a ainsi reconnu récemment qu’elle n’était pas à la hauteur en tant que mère, qu’elle n’a pas pu et ne peut toujours pas être la maman qu’elle voudrait être. Et elle a aussi évoqué les difficultés de la famille dans laquelle elle-même a grandi.
C’est extrêmement important pour les enfants. Nous observons très souvent qu’ils se sentent eux-mêmes responsables de leur placement : ils sont là parce qu’ils n’étaient 'pas assez sages' et ainsi de suite. Denis et ses frères et sœurs ont compris très clairement que leur maman avait des problèmes, qu’elle était mal dans sa peau. Et que c’est pour cette raison qu’ils vivent aujourd’hui au village d’enfants. »
« En soi, ces rencontres ne sont pas simples. La mère ne se sent pas toujours bien dans sa peau et les enfants peuvent eux aussi se montrer instables.
J’essaie d’optimiser la communication. J’aide la maman à entrer en contact avec ses enfants. Denis, par exemple, est un ado. Et la plupart des adolescents ne se jettent pas nécessairement au cou de leur mère. Denis est un peu renfermé et a du mal à s’exprimer. La maman a tendance à interpréter cela comme un manque d’intérêt. Mais c’est faux. Denis n’a encore jamais manqué une visite, ce qui en dit long sur l’importance qu’il accorde à sa mère. Je joue en fait les décodeurs, comme pour la télévision : je transmets les messages de manière à ce qu’ils soient captés correctement. Pour que la famille se comprenne bien.
Les frères et sœurs jouent aussi entre eux ce rôle de décodeur. L’ainé se demandait par exemple s’il pouvait ajouter son papa sur Facebook. Il ne voulait manifestement pas le demander lui-même à sa mère. Sa jeune sœur l’a donc fait pour lui. Il y a ainsi dans chaque rencontre des petits moments où ils se confortent l’un l’autre, individuellement et dans leur relation avec leur maman. Et l’un profite des progrès de l’autre. »
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